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Mise en couleurs de DEBUSSY Nouveau volume "En blanc et noir" pour l'Orchestre National de Lyon |
Il est amusant, si l’on compulse la presse de l’époque après certaines premières, de constater que de nombreux commentaires journalistiques s’étonnaient du fait que Claude Debussy avait abandonné certaines de ses partitions à des orchestrateurs, qu’il ne gérait pas lui-même ces travaux de mise en couleurs de ses ouvrages pianistiques en blanc et noir. La chose fera sourire ceux qui, de nos jours, travaillent pour l’industrie du cinéma et qui connaissent parfaitement ce couple éternel compositeur-orchestrateur ou, selon les mœurs professionnelles américaines, un Leonard Bernstein qui n’a jamais touché à l’orchestration de ses Danses Symphoniques de West Side Story. Et ce n’est guère faute de compétence ! Debussy allait à l’essentiel, ne perdait pas de temps dans des travaux de modification de nomenclature et acceptait que ses « assistants », à qui il accordait son entière confiance, puissent réaliser l’exercice. Tel est le fil rouge qui accompagne la publication du nouveau volume de l’intégrale pour orchestre de Debussy réalisée par l’Orchestre National de Lyon, dirigé par Jun Märkl, son directeur musical jusqu’en juin dernier. Ce sixième volume est un trésor du genre pour ceux qui s’intéressent à ce mécanisme de mise en couleurs, de déplacements de sonorités d’un ou deux pianos vers un orchestre symphonique. Certains noms qui apparaissent sur le choix des partitions sont célèbres. Ainsi le phénoménal Henri Büsser (1872-1973), chef d’orchestre et compositeur, apparaît régulièrement dans les programmes de concert pour son orchestration, en formation réduite, de la Petite Suite (1907) pour piano à quatre mains. Debussy, dans une lettre d’avril 1907, avait souligné « l’ingénieuse orchestration » de sa partition en quatre mouvements. Une musique charmante, très insoucieuse, au caractère simple et efficace. On oublie que le sublime diptyque Printemps fut orchestré par Büsser en 1912 (son nom disparaît régulièrement des programmes de concert sur cette partition !). Debussy ne se tenait pas éloigné de la table de travail et avait indiqué à son assistant ses volontés sonores et choix instrumentaux. Il avait souhaité expressément conserver les deux pianos originaux dans l’orchestre. Le parfait exemple de la réalisation dans le « style de …». Le coup de cymbale frappée sur la note de harpe sèchement attaquée rappelle étrangement un procédé utilisé dans la Mer... Henri Büsser a aussi érigé, l’année précédant le décès prématuré du père des Nocturnes, des orchestrations de certains Préludes pour piano (La Soirée dans Grenade figure au programme du CD 5 de la même collection). La Suite Bergamasque présentée par les lyonnais est plus rare. Un enregistrement Lp demeure chez les collectionneurs de raretés avec l’Orchestrateur à la tête de l’exotique "Grand Orchestre du Marquis de Cuevas". Il semble que l’arrangement de cette Suite Bergamasque ait pu faire le bonheur des maîtres à danser. Trois mouvements furent réalisés par le chef Gustave Cloez mais c’est André Caplet, le fidèle parmi les fidèles, celui de la Boite à joujoux et du Martyre de Saint Sébastien, qui réalisa le poétique Clair de lune (Roger Boutry réalisa une très intéressante version – inédite à la publication – pour piano et ensemble à vent). Mais le grand intérêt de ce disque qui vient conclure ce projet d’intégrale du corpus orchestral pour Naxos révèle le fabuleux travail réalisé par l’anglais Robin Holloway sur une partition d’une grande importance : En blanc et noir. Holloway a rédigé son orchestration en 2002 sur une commande de l’Orchestre Symphonique de San Francisco. Le résultat est superbe, les teintes et lumières apportées dans un style propre à ce compositeur/orchestrateur anglais embellissent, sans trahir, la version originale, si redoutable exercice pour les deux pianistes. Symbole de l’intérêt de cette partition, c’est certainement la gravure la plus aboutie de cette parution. L’Orchestre National de Lyon démontre ici sa parfaite compréhension et son entière mise à disposition pour ces lignes orchestrales innovantes. La Symphonie en si mineur inachevée reste anecdotique, et l’on plaît à sourire au récit hybride entre l’école française et le lyrisme d’un Tchaikovsky d’une partition de jeunesse qui n’a pas franchi l’étape de la version piano et n’a jamais pu quitter le musée Glinka de Moscou. Rappelons pour terminer que les disques Naxos sont vendus au prix d’un sandwich et d’une bière (pour paraphraser les répliques d'un célèbre officier de police), ce qui ne gâche rien à la joie d’entendre cette formation dans de la musique française, servie par des instrumentistes de renom qui savent encore jouer clair et court, ou pour résumer, dans le plus pur style tricolore. Claude Debussy, Oeuvres orchestrales - volume 6 Orchestre National de Lyon, dir. Jun Märkl NAXOS 8.72583. 74 minutes. Distribution France : Abeille Musique Ecouter des extraits : - Suite Bergamasque, Clair de lune (André Caplet) - Printemps (Henri Büsser) - En Blanc et noir (Robin Holloway) |
Une autre vision du Clair de Lune ? |
F.D. |