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le Comité franco-américain du Conservatoire (1915-1919) Lili et Nadia Boulanger |
La Gazette des classes du Conservatoire Les écrits épistolaires des « poilus » de la Grande Guerre font l’objet d’un intérêt croissant depuis la disparition de la dernière génération qui pouvait encore témoigner de ces événements. De nombreux livres sur la parole des poilus sont publiés pour nous faire pénétrer au cœur de leur souffrance et parfois de l’espérance. On connait moins les préoccupations des musiciens mobilisés et pourtant certains ont eu l’occasion de publier leurs récits et attentes des jours meilleurs. C’est grâce aux sœurs Boulanger, Lili et Nadia, que leurs amis musiciens français mobilisés, purent s’épancher et maintenir un lien avec leurs congénères. Lili et Nadia Boulanger : Agence Meurisse En 1914, Nadia Boulanger née en 1887 et sa sœur cadette Lili Boulanger née en 1893 sont des compositrices déjà reconnues. Élèves de Gabriel Fauré, elles sont issues des classes de composition du Conservatoire de Paris. En 1913, à seulement 20 ans, Lili devient la première femme honorée d’un Premier Prix de Rome pour sa cantate Faust et Hélène. Elle est connue et reconnue dans la sphère artistique internationale. Mais la frêle Lili Boulanger, affaiblie par une déficience immunitaire, se bat contre sa propre mort précoce annoncée mais aussi pour les autres. Peut-être par prémonition, Lili écrit en octobre 1912 « Pour les funérailles d’un soldat » pour basse solo, chœur à 4 voix et piano sur des paroles d'Alfred de Musset. Quand éclate en juillet 1914, le conflit mondial, Lili Boulanger doit écourter son séjour en Italie à l'Académie de France à Rome de la Villa Médicis et s’installe momentanément à Nice. De retour à Paris, à la rentrée de 1915, Nadia et sa sœur cadette Lili ont l’idée d’organiser une œuvre destinée à leur venir en aide : le Comité franco-américain du Conservatoire. Par le biais de cette structure, elles contactent la plupart des élèves et anciens élèves du conservatoire de Paris, compositeurs, interprètes, jeunes ou moins jeunes, pour leur apporter non seulement un soutien moral, mais également une aide matérielle et financière. Le lien se fait essentiellement par le biais de La Gazette des classes du Conservatoire, dont une trentaine de fascicules sont édités et envoyés au front. Constituée d'extraits de lettres, cette gazette donne la parole aux musiciens pris dans la tourmente. Nadia et Lili Boulanger sont encouragées et soutenues très activement par diverses personnalités américaines, et tout particulièrement par l'architecte Whitney Warren et le compositeur Blair Fairchild qui font bénéficier la structure de leurs contacts aux États-Unis. Grâce à un appel à souscription, des centres de propagande sont créés dans les grandes villes américaines pour lever des fonds. Cette action est facilitée par le fait que la prestigieuse section musicale de l'Académie des Beaux-Arts est animée par Gabriel Fauré, directeur du Conservatoire et ses cinq confrères, Camille Saint-Saëns, Emile Paladhile, Théodore Dubois, Charles-Marie Widor et Gustave Charpentier et qu'ils soutiennent ce projet. Exemplaires de la Gazette des classes du Conservatoire Médiathèque Hector Berlioz CNSMDParis De passage à Paris, le chef d’orchestre Walter Damrosh, venu diriger deux concerts annonce à Nadia bouleversée, qu’il vient de créer à New York, la société “Les Amis Américains des Musiciens en France”, avec comme programme, “le soulagement, aussi large que possible, des infortunes causées par la guerre parmi les musiciens”. Damrosh remet 5000 francs à Nadia, recette de son premier concert. De nombreux musiciens s’abonnent à La Gazette des classes du Conservatoire. Cette Gazette est assez modeste, constituée de quelques feuillets de papier jaunâtre, dactylographiés et polycopiés, reliés par une agrafe avec parfois quelques dessins. Cela n’est pas l’essentiel, ce qui l’est c’est le lien salutaire qui permit à de nombreux musiciens de garder un contact entre eux et avec l'arrière. 11e batterie du 45ème régiment d'artillerie coll. Historial de la grande guerre c-photo-y.medmoun Lili, sans revoir les quelques rescapés poilus musiciens dont elle avait tant souhaité soulager les douleurs, meurt à 25 ans, le 15 mars 1918. Sa sœur Nadia, poursuit l’œuvre entamée avec sa sœur jusqu’à la fin de la guerre mais renonce à la composition. Elle se consacrera à la direction musicale, à la diffusion de l’œuvre de sa sœur, et, surtout, à la pédagogie au Conservatoire de Paris menant une impressionnante carrière de professeur jusqu’à sa mort, à 92 ans le 22 octobre 1979. |
Quelques extraits des récits des Poilus Musiciens publiés dans La Gazette des classes du Conservatoire. Espérances Lettre de Joseph Boulnois, organiste et compositeur. Sergent-infirmier, il ne cesse de composer pendant la tourmente, (Suite pour piano et violoncelle de janvier 1918) : «Ma vie militaire n’a pas changé, mais je prévois sans effort l’époque où je décollerai ma situation actuelle pour une autre, inconnue, mais, peu importe, bienvenue...». Il meurt trois semaines avant l’Armistice, le 20 octobre 1918. Un brin d’humour Le chef d’orchestre et compositeur, Eugène Bigot, écrit le 18 janvier 1917 un billet tendrement moqueur sur la petite taille de Georges Becker qui sera plus tard professeur de composition au conservatoire : «Il y a quelques jours, j’ai vu défiler Becker, la canne à la main, à la tête de son régiment, faisant rouler et sonner sa clique, il ne lui manquait qu’une dizaine de centimètres à ajouter à sa stature, pour être le type accompli du parfait tambour-major». Prémonition «Il ne faut pas se faire de fausses illusions, et croire qu’une paix prématurée nous amènerait la tranquillité pour toujours. L’orgueil allemand déçu voudra sa revanche». Jean-Henri Debrun. Remerciements «Celui qui ne peut avoir recours aux occupations intellectuelles telles que lire, écrire, ou bien à certains dérivatifs comme la musique, est très à plaindre”. Jean-Henri Debrun Attaques de quatuor L’altiste Georges Fourel, le 28 mars 1917 : «La guerre ne nous empêche pas ici, à la musique du 79ème, de faire du quatuor à cordes entre deux attaques, et nos repos en sont bien embellis». Le froid et la neige de 1917 Le trompettiste André Rouchaud raconte qu’il possédait les deux volumes des Symphonies de Beethoven pour piano à quatre mains. «Il manquait les deux premières symphonies dont l’ordonnance d’un officier s’est servi pour allumer son feu. Le lieutenant, mélomane éclairé, est arrivé à temps pour sauver l’Héroïque...» Déprimé Le bassoniste Max Simon révèle le 16 mai 1918 que depuis le début des hostilités il a fait partie de toutes les unités de combat, il prend la décision de renoncer à son art : «Je me verrai forcé, après la fin de ce mauvais cauchemar, de prendre un autre métier, car je serai trop vieux pour reprendre mes études interrompues...» La Gazette attendue, espérée. Le compositeur René Balliman écrit le 1er mai 1917 : « Comme tous, j’ai été navré que, parmi la demi-douzaine de ministres qui se sont succédés depuis trois ans rue Saint-Dominique, il s’en soit trouvé un qui ait jugé indispensable à la Défense nationale de frapper d’un arrêt de mort La Gazette. Et voici que quelque temps après, ce fut le ministre gazetticide qui mourut et la Gazette ressuscita. Grâces soient rendues à son bien intentionné successeur qui a permis de poursuivre fructueusement l’œuvre de solidarité et de bonne camaraderie, plus nécessaire aujourd’hui que jamais...» Engagé Le violoncelliste Maurice Maréchal, organise au sein de la division, une troupe de comédie, recrutée dans les différents régiments au repos, «Notre petite troupe s’en va de cantonnement en cantonnement donner des représentations aux poilus. L’élément musical vient s’ajouter à l’élément comique, et le « Prélude du Déluge » est encadré de la « Belle caissière du Grand Café » ou de « Mais elle est revenue ! ». Mais qu’est-ce que tout cela peut faire, puisque les poilus s’amusent et passent leur temps.» Insouciant Le trompettiste Auguste Neff présente ses vœux : «J’espère que l’année 1917 sera l’année de la signature de la paix et qu’avec elle, nous reprendrons nos chères études interrompues ; c’est égal, 28 mois sans toucher mon instrument, quel repos !... et quels sons vais-je sortir ! Enfin on aura toujours la satisfaction d’avoir empêché la gent teutonne d’accomplir ses tristes et noirs projets... » Résurrection Georges Dequin, le 15 mars 1917 : «Je vous dirai que votre Gazette a produit sur moi comme une résurrection ; depuis longtemps et avec regret j’avais abandonné toute idée de poursuivre mes études musicales, car cette dure campagne m’avait fortement déprimé et je considérais avec terreur les belles années gâchées dans cette tourmente ; mais vraiment, maintenant que j’ai reçu la Gazette, je me mets à espérer que ma carrière n’est peut-être pas brisée et j’attends avec impatience le moment où je pourrai continuer mes chères études». Inquiétude sur l’avenir professionnel Le compositeur Georges Rueff : «Quelle sera notre situation vis-à-vis de l’École, à notre retour ? Car nombre d’entre-nous auront, pour faire leur devoir, dépassé la limite d’âge pour certains concours. Alors que ferons-nous ? Il faut aussi penser à la vie future. Voilà trois ans que dure la guerre et que nous faisons de la musique de temps à autre, mais au point de vue doigté, que ce soit violon, violoncelle, flûte ou piano, les doigts sont et seront engourdis pour un moment. Quelle sera notre situation dans un concours pour l’obtention d’une place, vis-à-vis des jeunes gens qui sont à l’École en ce moment, alors que nous nous battons ? ...» Emphase Fernand Fity, classe d’harmonie, le 19 mars 1917. «L’heure s’approche où la France, berceau de la civilisation, flambeau du monde, lumière immortelle de la justice, Patrie chérie des Arts et du Beau, Moderne Fellade, va recueillir les fruits de ses terribles sacrifices, de ses longues souffrance. » Patriotique Roger Manas, organiste et compositeur, le 18 mars 1917. «Je regrette d’être aveugle et de ne pouvoir, moi aussi, aller défendre mon pays et prendre part à la grande Victoire de la civilisation. Il faut que nous soyons non seulement victorieux par les armes, mais aussi victorieux dans les arts, dans nos théâtres et dans nos concerts. Honneur à nos glorieux maîtres Debussy, Ravel, Paul Dukas. Il faut faire resplendir sur notre sol national les œuvres de notre jeune École Française, si pleine de vitalité et de dramatisme». L’un des plus combatifs Jacques Ibert, réformé au service militaire, après bien des difficultés, s’engage comme infirmier en novembre 1914 et assiste à plus de 800 opérations médicales. «Après 18 mois d’ambulance, 18 mois de pleine activité dans la Somme, en Champagne et dans les Vosges, je suis tombé assez gravement malade... La musique ? On en fait par habitude, parce qu’on ne peut s’empêcher de penser, d’agir, mais avec si peu de suite et si peu d’élan. Quel en sera l’avenir ? Nul ne le peut encore dire, quoique cette question agite bien des gens ; mais je connais des musiciens qui sombrent dans un pessimisme par trop indécent à l’aube de la Victoire. La désillusion en un pareil moment est le propre des faibles et je pense, avec Flaubert, Méfiez-vous des dégoûtés : ce sont presque toujours des impuissants ». Réaliste Jacques ibert, le 16 mai 1918 «Supprimer les Allemands de nos programmes serait une innocente plaisanterie, sans portée d’ailleurs, et d’un ridicule et faux patriotisme ; mais limitons leur très sérieusement la place et jouons avant tout de la musique française qui, après tout, vaut bien la leur». Philosophe Le Prix de Rome, Léon Moreau «Pour les musiciens allemands, je pense qu’en ce moment il faut les oublier. On sera toujours à temps pour les reprendre quand nos grandes blessures seront fermées et rien ne pourra tuer Wagner, ni Brahms ni peut-être même Richard Strauss. Mais qu’on abandonne les médiocres comme Weingartner, prétentieux boursoufflé». Humaniste Maurice Maréchal, violoncelliste : «Il me semble tellement évident que nous priver des œuvres de génie (fussent-elles allemandes) serait nous punir niaisement nous-mêmes, que je ne pensais même pas la discussion possible sur ce sujet». Pour se replonger dans l’univers musical de Lili Boulanger nous vous proposons de programmer « D’un matin de printemps » de Lili Boulanger adapté pour orchestre à vent par François Branciard pour les Éditions Robert Martin (original pour violon, violoncelle ou flûte et piano ou orchestre). Bibliographie La Grande guerre des musiciens Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes et Georgie Durosoir (direction scientifique) éditeur : Symétrie |
Y.R. |