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La partition du mois : TANGAZO Astor PIAZZOLLA / Sandra ANSANAY-ALEX |
La musique d'Astor Piazzolla, pourtant si teintée de l'atmosphère particulière entre ancien et nouveau monde de Buenos Aires ou de la culture sud-américaine, est universelle. Ses Tangos sont célèbres de par le monde. Il ne faut pas marquer de mouvement de surprise si l'on découvre que ces rythmes obsédants invoquant le jeu rival entre les deux corps des danseurs sont devenus si importants en Finlande ou au Japon. L'art de Piazzolla, mélange hybride entre musique populaire et art savant, entre élégance et caractère de voyou, entre virilité et sensualité, parle à toutes les sensibilités. De manière étrange, sa musique garde la même puissance expressive malgré de multiples habillages. Nous avons tous entendu le Libertango déclamé sous toutes les formes, mangé sous toutes les sauces instrumentales. Et pourtant, le pouvoir enivrant demeure. D'ailleurs Piazzolla (1921-1992), qui a étudié la composition le plus sérieusement du monde, auprès d'Alberto Ginastera ou Nadia Boulanger, n'a jamais rejeté les adaptations de ses airs ou l'imitation de son bandonéon par d'autres instruments... Le Tangazo - Variations sur Buenos Aires fut composé en 1969 et fut créé à Washington (D.C.) en 1970 par l'Ensemble Musical de Buenos Aires. Son premier habillage fut cousu pour bandonéon, piano et cordes. On trouve aussi régulièrement au programme des orchestres symphoniques une version avec bois, cors et cordes. C'est cette dernière qui fut enregistrée par des chefs de l'envergure de Michael Tilson-Thomas ou Charles Dutoit. La nouvelle orchestration réalisée par Sandra Ansanay-Alex respecte scrupuleusement la première version. Son travail fut de recréer le caractère, la puissance expressive des cordes originales, maintenant transcrite pour un orchestre d'Harmonie. La réalisation est remarquable, cette nouvelle mise en couleur est un travail soigné de recherche des timbres, associations idoines entre les différents pupitres et clarté de la masse orchestrale. Le son résultant - que vous pouvez découvrir dans son enregistrement réalisé avec la Musique de la RTSO - rappelle l'esprit français de Milhaud et sa Création du monde, le Stravinsky de la Circus Polka ou le Scherzo à la Russe. Courte analyse : Cette pièce conséquente, de près d'un quart d'heure, émerge des ténèbres, sorte d'incantation lugubre confiée aux voix graves (tubas et contrebasses). Le calme qui émane de cette introduction est déchiré par un premier tutti, cri de douleur de l'orchestre. L'atmosphère pesante retombe et laisse place au tango proprement dit, le thème principal est lancé par le hautbois, contrecarré par des répliques stridentes et percussions acides. Comme pour tout récit à la Piazzolla, le climat devient chargé d'électricité, un tourbillon enivrant emporte l'auditeur et ce monde sonore s'écroule pour laisser place à une conclusion qui s'éteint subitement en quelques mesures. Pas esquissés par un danseur qui se retrouve seul, ligne de basse discrète qui est coupée dans son élan par une simple cadence de deux notes murmurées. DECOUVRIR des extraits sonores de Tangazo : Enregistrement extrait du CD Tangazo enregistré par la Musique de la Région Terre Sud -Ouest, dir. Sandra Ansanay-Alex |
Quatre questions à Sandra Ansanay-Alex : 1) Comment avez-vous découvert ce tango de Piazzolla ? S.A-A. : J'ai toujours adoré l'univers sonore de Piazzolla. Je pratique d'ailleurs depuis quatre ans le tango argentin ! Lorsque j'étais étudiante au Conservatoire Supérieur de Genève, j'allais régulièrement à la médiathèque pour écouter le maximum de CD et Piazzolla n'a pas échappé à ces découvertes sonores ! Et c'est donc par hasard que j'ai découvert son "Tangazo". J'aime cette musique, justement, parce qu'elle est sombre; elle réveille en nous notre mal-être, nos désirs refoulés... Et le temps de l'écoute, j'ai l'impression que tout remonte à la surface, la gorge se serre et au climax de l'œuvre, toutes ces sensations contenues se libèrent. Et je ressens alors une grande énergie. C'est un peu comme lorsqu'on vient de passer la porte de l'avion ! Peut-être est-ce cela la résilience ? 2) Quelles furent vos critères d'orchestration afin de transcrire cette oeuvre sombre et puissante ? S.A-A. : Dans un premier temps, j'ai voulu respecter l'idée "orchestrale" originale de Piazzolla : garder le quintette à vent accompagné par la section cordes. Concernant la transcription pour Harmonie, je voulais que ce soit un nouvel "alliage". Cela peut paraître prétentieux, mais c'est cette idée qui m'a guidée. Je voulais inventer une nouvelle couleur: donner l'impression que des cordes fusionnaient avec des vents. Attention, je ne voulais pas écrire des parties pour les vents en recopiant et adaptant les parties des cordes ! Mais créer un nouveau matériau spécifique au son de l'Orchestre d'Harmonie. 3) Votre Musique de la Région Terre Sud-Ouest semble parfaitement réagir à vos injonctions dans l'enregistrement réalisé pour les Editions Robert Martin, il est vrai que l'on précise souvent que Toulouse serait un peu le berceau du Tango, ville natale de Gardel... S.A-A. : Nous sommes évidemment sensibles à cette couleur hispanisante si particulière et j'ai d'ailleurs construit une évolution (la musique joue tout en réalisant une chorégraphie dynamique à l'instar des Marching Bands) pour laquelle les musiciens de la RTSO doivent réaliser des pas de danse sur le Libertango de Piazzolla ! Ce travail leur a beaucoup apporté, ils ont dû gérer leurs mouvements dans l'espace et dans le temps et ont ainsi senti la sensualité de cette musique à l'étrange pouvoir. La part la plus importante du travail a été réalisée à ce moment là : un travail corporel ! Mais c'est le hasard qui a bien fait les choses car je n'avais pas réfléchi si loin pédagogiquement ! Lorsque nous avons abordé Tangazo, cette musique était devenue naturelle... 4) Quels sont vos projets en termes d'orchestrations ou de compositions originales ? S.A-A. : Je réfléchis à de nouvelles orchestrations d'oeuvres de A.Dvorak . Et quand j'aurai progressé, je souhaite aborder mon compositeur préféré: Gustav Mahler. Sa musique suffocante réveille tant de sentiments contradictoires en notre for intérieur. Mais dans sa profonde humanité, Mahler desserre l'étau des émotions, pour nous laisser respirer juste un peu ! Finalement, comme pour Piazzolla, des univers toujours à la limite de la rupture ! |
F.D. |