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Jérôme Selmer : interview Une retraite bien méritée ! |
Propos recueillis par Jean-Marie Paul, le 15 juin 2021, à l'occasion du départ en retraite de l’arrière petit-fils d’Henri Selmer, fondateur de l’entreprise en 1885, qui était alors le dernier président à porter le nom d’un membre de la famille. Mais comme on le verra, l’entreprise est sur de bons rails, avec une équipe technique, commerciale et de musiciens-essayeurs passionnés et motivés… Pour en savoir plus sur l’histoire de la marque, les produits : https://www.selmer.fr (Photos de Jérôme Selmer : copyright Henri Selmer Paris.) Les débuts. « En 1982, à 24 ans, j’avais envie de rejoindre l’entreprise familiale. Mon père, Jacques Selmer, y travaillait déjà. Dans ces métiers de tradition, la transmission est importante. On essaie de grandir en montant sur les épaules de ses aînés… En plus de mes études de gestion, j’avais fait du sax en conservatoire, mon professeur était Michel Nouaux, soliste à la Garde et essayeur Selmer, qui m’a énormément aidé. Au départ, j’ai fait un tour d’horizon des différents postes, puis j’ai été envoyé aux États-Unis, comme Patrick et Georges avant moi, où j’ai découvert une autre facette du marché de la musique. Très vite, j’ai flashé sur le produit lui-même. Il y avait déjà mon père pour la partie commerciale et Georges Selmer pour la partie financière. J’aimais me concentrer sur du concret, démonter et remonter le produit, le retamponner, etc. Après avoir appris comment réparer, à l’usine, j’ai appris toutes les étapes de fabrication, les nouvelles technologies. À l’écoute des musiciens. Et ensuite, je me suis rapproché des musiciens. D’abord par l’approche qualité : un musicien a des exigences, il veut un instrument fiable, sans ruptures au niveau de la colonne d’air (pas de problèmes de bouchage ou de réglage, pas de jeu dans les clés, …), une ergonomie parfaite. Bref, derrière l’outil, un moyen de produire de la musique. Donc je suis devenu l’interface entre les musiciens et l’usine. Puis, par l’écoute des musiciens : leurs besoins, leurs attentes quant à l’évolution de l’instrument, mais aussi ce qui est compatible avec la production. J’ai été bien aidé en cela par Jean Selmer, le père du saxophone Mark VI, et de la clarinette Récital (entre autres). Puis il est parti en retraite, j’étais dans le bain… On a commencé par remodeler le saxophone alto Séries II en 1986, puis toute la gamme Séries III : l’alto, le ténor, le baryton et enfin le soprano. Ensuite, il y a eu la gamme Référence, et la plus belle apothéose pour moi, la gamme Suprême. L’alto est un aboutissement pour la maison, salué par bien des musiciens. Lancé en février 2021, cet alto a été vu plus de 200 000 fois sur les réseaux sociaux et on en a déjà vendu plus de 2 500. Cet instrument est reconnu comme un Selmer, il en a la souplesse d’utilisation. La sonorité plaît, car quelles que soient les nuances, l’instrument reste le même, il ne sature pas, il a une justesse exceptionnelle. Tout cela sans altérer la signature acoustique de la maison. Dans les clarinettes, du renouveau également, avec la Privilège : un instrument qui a sa propre personnalité et qui est reconnu comme instrument professionnel ; puis la Présence. En clarinette, nous sommes devenus plus que jamais un acteur reconnu et respecté, aux côtés de Buffet-Crampon, l’autre grand fabricant français que je salue. En outre, nous avons une belle image sur la clarinette basse et la petite clarinette. Et enfin, nous allons sortir un modèle Muse qui va être encore plus facile à jouer, ainsi qu’un nouveau bec. Les musiciens donnent le meilleur d’eux-mêmes quand ils se trouvent en confiance. J’ai vécu des moments extraordinaires avec Claude Delangle, Jacques Di Donato, Alessandro Carbonare, Philippe Berrod, Jérôme Verhaeghe, et tant d’autres. J’ai appris beaucoup à leur écoute, et se tissent des liens très forts, de travail et d’amitié. Mais dans la conception d’un prototype, un fabricant rencontre forcément des traversées du désert. Parfois, il avance, et d’autres fois, non, et c’est le doute. Mais arrive un moment où c’est validé, alors c’est extraordinaire. Innover, car rien n’est jamais acquis. II faut innover sans arrêt, surprendre, mais aussi être dans l’air du temps, correspondre aux idéaux musicaux. Dans tous les styles : classique, jazz, variété. Si on répond présent pour correspondre aux attentes, alors pas de souci. Il faut aussi des ruptures dans la continuité. Surprendre c’est aussi innover ; changer les repères, qui nécessitent pour les musiciens un temps d’adaptation… La prise de responsabilités, le rachat de Selmer : fidélité à notre ADN, investir pour l’avenir. Si je reprends la chronologie de ma carrière, j’ai ensuite été directeur général, Brigitte en était la présidente. Puis je lui ai succédé à son départ en retraite, en 2017. Un peu un bouleversement pour moi et pour l’entreprise, avec le rachat de Selmer en janvier 2018 par notre partenaire financier, le fonds d’investissement français Argos Soditic, qui m’a fait confiance, et je suis resté président. Globalement on avait les mêmes objectifs : pas de licenciements, continuer à travailler en France, et garder notre âme. C’est-à-dire ne pas arriver à sortir un produit standardisé, aseptisé. Bien entendu, notre partenaire nous a suivis à condition que nous soyons rentables, qu’on ait des résultats. Cela s’est bien passé. Si ce n’est qu’on a connu, comme tout le monde, cette période du Covid. Je ne regrette rien, je vais partir en étant persuadé que la maison va continuer à briller. On est en train de renouveler la gamme de saxophones, d’autres modèles vont sortir. En avant-première, je peux te le dire : une série limitée en hommage aux 100 ans du saxophone Selmer, le fameux modèle 22. En tant que président, j’ai participé à la modernisation de l’entreprise, le nouveau site web, la mise en place de la distribution sélective, le démarrage du e-commerce, la présence renforcée de Selmer sur les réseaux sociaux. On a embauché un nouveau directeur commercial, une personne pour le marketing digital. Le travail avec un designer nous a beaucoup apporté aussi, car le produit doit être bon, mais les musiciens doivent aussi avoir des étoiles dans les yeux en le regardant. Je vais garder un pied dans la maison en participant au conseil de surveillance. L’équipe est solide, je peux partir serein… » |
J.M.P. |