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Laurent Fléchier la Musique sans limites |
- Qu’est-ce qui t’a attiré dans la clarinette ? C’était dans les années 1970, je voulais faire de l’orgue ! Pas de place au conservatoire de Châteauroux. J’ai trouvé que la clarinette ressemblait à l’orgue, c’était parti ! J’ai suivi les cours d’André Trouttet, soliste à l’Ensemble InterContemporain. Pourtant, on ne parlait pas encore de contemporain en cours... Des amis bassonistes étaient rentrés au CRR de Tours. J’ai dit à mes parents : je veux faire de la musique mon métier ; j’avais 13 ans. J’ai suivi une classe à horaires aménagés et au CRR, les cours de clarinette de Didier Delettre. J’ai commencé à imaginer le métier avec une pratique musicale très large, ouverte aux autres. Avec Didier, il y avait des échanges sur la musique d’ensemble, l’opéra, c’était une classe vivante avec des élèves comme Jérôme Voisin, Isabelle Duthoit, François Petit, Barbara Tenneguin, … Quant à la rencontre avec Jacques Di Donato, on verra qu’elle s’est faite en deux temps. Il a commencé à ouvrir de nouvelles portes dans mon univers. J’ai d’abord fait sa connaissance lors d’un stage où j’accompagnais ma future compagne, la bassoniste Agnès Moyencourt, qui elle travaillait avec Gilbert Audin. Au-delà de la clarinette, j’avais envie de devenir un musicien, un artiste, une personne inscrite dans la cité, dans l’action. Une manière d’aborder l’instrument hors normes, sans limites, quel que soit l’âge ou la manière de le faire. Après le stage, j’ai travaillé assez longuement avec Jacques Di Donato. On y côtoyait les élèves de la classe : Yannick Herpin, Yves Jeanne, Christian Laborie. À cette époque, il n’y avait pas autant de formations à la pédagogie comme aujourd’hui. Je voulais devenir musicien freelance, ça n’est jamais facile au départ. Il faut réfléchir sur ce que l’on veut défendre. J’ai découvert que j’adorais enseigner en plus de jouer et d’improviser. Et j’ai eu mes diplômes : D.E., C.A. de clarinette, C.A. de direction, … J’ai pris des chemins de traverse. Comme déjà avec Didier Delettre qui nous avait sensibilisés au spectacle total. Là, je suis parfois sur un plateau à travailler avec des décorateurs, des danseurs, à collaborer avec des poètes, des peintres. C’est une culture de l’altérité. On apprend les uns des autres. Mais c’est vraiment avec le festival Fruits de Mhere de J. Di Donato que j’ai appris à imaginer que tout est possible : on expérimente, on invente jusqu’au dernier moment, on prend des risques, on ne garde que ce qui sonnera pour le spectacle. J’ai continué un temps à faire un peu de jazz contemporain. J’ai joué plusieurs fois au D'Jazz Nevers Festival. Pour leurs 10 ans, en 1997, ils avaient offert la scène à des groupes locaux. Mon premier poste de clarinette à temps complet était à 40 km de Nevers, en milieu rural, dans une école départementale. Un jour, j’ai reçu une invitation d’un groupe de jazz manouche qui cherchait un clarinettiste. Les musiciens venaient de tous les milieux et jouaient selon la tradition orale. Ce fut une rencontre géniale. C’est maintenant un long chemin depuis plus de vingt ans. Je me suis progressivement rapproché des sources et des origines, grâce au réseau lyonnais qui est un carrefour des cultures des pays de l’Est : Bulgarie, Macédoine, etc. Je vais aussi régulièrement dans ces pays. Le niveau de clarinette est tellement supérieur à ce qu’on imagine. Des Ivo Papasov, il y en a dans tous les villages ! La clarinette est un instrument qui a voyagé énormément… - Et tu as senti le besoin d’écrire des pièces pédagogiques ? J’avais croisé le directeur des éditions Robert-Martin à Villefranche, et j’ai eu carte blanche de l’éditeur. Et les encouragements d’Henri Fourès ancien directeur du CNSM de Lyon, qui a aimé l’idée et la façon de le présenter. J’ai alors écrit pour les éditions Robert-Martin une Petite méthode des modes de jeux contemporains, et une série de pièces d’application. - La Méthode ? Une formalisation de ce qui existait déjà, en se posant les questions : Quelle est la pédagogie pour cette musique ? Cette musique ne fonctionne pas comme les autres. Comment transmet-on le flou, l’ouverture ?- Les Pièces ? Comme par exemple celles en 1/4 de tons pour ensembles de clarinettes… Cela procure un travail d’oreille génial, et on crée des mondes vibratoires super, de la polyphonie… Il y avait aussi Solinotes, travail sur une seule note pour les débutants. Pour Le tout petit clarinettiste, c’était une commande de mon éditeur. Pierre Dutot avait écrit la méthode Le tout petit trumpet star et cela devenait une série pour différents instruments. Il s’agissait de répondre au public des jeunes enfants d’une manière très progressive. J’ai essayé d’y insérer ce que je pratique : ouverture vers la liberté de l’élève et vers les autres musiques, l’improvisation, la polyphonie… Richard Rimbert m’a dit aussi de ne pas oublier la clarinette en ut.J’ai écrit une pièce pour clarinette seule, Chopska, pour le concours de Caluire, à l’invitation de la directrice artistique Sandrine Pastor. Mais j’ai essayé de voir plus loin que cet objectif. C’est une sorte de synthèse de mes histoires avec la clarinette, de mes influences, une ouverture vers la nouveauté. Mais jouable ; donc également une incitation à se l’approprier, à en faire quelque chose de vivant et personnel… J’ai pas mal de morceaux non publiés. Car en général, la musique je l’écris ou bien pour moi, ou sur mesure, comme en haute couture… Modestement, j’ai posé des jalons ; mais je laisse des portes ouvertes pour l’enseignant ou l’élève. Certains voudraient des recettes toutes faites ; l’important c’est le chemin ! Il y a parfois des contraintes techniques ; mais la première limite est dans sa tête. La clarinette est juste un tube, un moyen d’expression, de transmission, un intermédiaire. Un medium en somme… La procédure est en effet un peu différente pour des personnes qui ont déjà pratiqué l’impro, et pour des novices. C’est un voyage, une expérience pour te rendre dans un endroit où tu ne sais pas où est l’arrivée. Il faut lâcher ses certitudes avant d’entrer… Les techniques instrumentales ne sont que des outils, et même parfois un frein ; il faut essayer de sculpter la matière en laissant exprimer son vécu, ses envies. Redevenir un enfant ; tu joues, au sens ludique du terme. Ton instrument redevient une boite à produire du son. C’est un atelier de bricolage, dans ce qu’il a de plus noble. - Justement, parle-nous de la musique que tu fais avec la bassoniste Agnès Moyencourt pour le Duo Flam… Duo Flam, c’est né en même temps que la rencontre avec ma compagne il y a trente ans ; on s’est connus lorsque nous étions étudiants, à l’époque de Di Donato au CNSM de Lyon. On enseigne tous les deux à Villefranche-sur-Saône. Agnès a en charge la classe de création par les nouvelles technologies, une option qui est devenue un parcours de création complet depuis cette année, jusqu’à un D.E.M. prochainement. De la M.A.O. mais aussi de la création. Elle n’accueille pas que des instrumentistes, mais aussi des concepteurs qui n’auraient pas leur place dans un conservatoire, un peu comme le public d’une classe de Beaux-Arts. De la peinture sonore par exemple. Manier du son et des machines, mais pas forcément un instrument. Tandis que moi j’ai les ateliers de musiques improvisées et de création, en plus de la classe de clarinette.Agnès a commencé comme moi la musique de manière hybride. Flûte à bec d’abord, puis danse et enfin basson au CNSM de Lyon avec J.P. Laroque et L. Lefèvre. Elle s’est présentée au studio SONVS, du département musique électroacoustique. Une classe d’« instrumentistes créateurs », manipulant écriture, électroacoustique, hybridation instrumentale, y avait été nouvellement créée avec le violoncelliste Benjamin Carat. Agnès obtint donc son prix d’interprétation et composition électroacoustique après son diplôme de basson. Sans doute comme beaucoup d’entre nous, j’aimerais une année 2022 plus ouverte, plus conviviale grâce à la musique et au partage. J’aimerais écrire de plus en plus pour d’autres instrumentistes. Je continue toujours à expérimenter autour et grâce à la clarinette. Mais pas que… Je travaille depuis quelque temps au sein d’un collectif d’artistes hybrides qui regroupe graphistes, infographistes, spécialistes du mapping vidéo, de la réalité augmentée et virtuelle. Et nous imaginons des productions et spectacles immersifs mêlant toutes ces composantes. Je travaille sur la musique, la matière sonore, mais je produis aussi des images (photos et vidéos). La clarinette est un bon vecteur, que je connais bien, et qui relie au souffle et à l’analogique. Elle me permet de faire un lien avec des musiques d’innovation qui peuvent rester touchantes, immédiates, sans forcément de codes savants préalables. Cela m’amène à me poser des questions sur les formes de transmission, de partitions, la place de la vidéo, … Pour résumer, j’ai l’impression d’être habité par trois courants que j’aime par-dessus tout, et qui me constituent profondément : - La musique académique, occidentale ; - La musique contemporaine, savante ou expérimentale, l’improvisation ; - Les musiques traditionnelles et des Balkans. À certains moments, il y a des connexions qui se font dans ces musiques. C’est pourquoi je parle d’hybridation et je suis heureux de pouvoir vivre – et faire vivre – au milieu de tout cela ! D’être simplement un passeur ! - POUR EN SAVOIR PLUS : Biographie de L. Fléchier et compositions : https://www.edrmartin.com/fr/bio-laurent-flechier-8468/ Le Duo Flam (et les autres groupes) : https://flamduo.net/ Chaîne YouTube, vidéos pédagogiques : https://www.youtube.com/user/flamduo/featured Le blog : https://blog.flamduo.net/author/laurent/ |
J.M.P. |