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Hélène Devilleneuve, soliste, Philharmonique de Radio-France professeur de hautbois, CRR St-Maur ; lecture à vue-bois, CNSM de Paris |
- Pourquoi le hautbois ? Tout d’abord mes parents, professeurs d’art plastique et de sciences, pensaient que, pour ma sœur et moi, apprendre un instrument épanouissait la sensibilité d’un être humain, et que l’enseignement général pouvait être enrichi grâce à la musique. Je devais avoir 7 ans quand j'ai commencé la flûte à bec au conservatoire de Versailles, avec comme professeur Daniel Brebbia, homme chaleureux et ouvert, qui aimait beaucoup l’enseignement, la transmission, et qui nous a ouverts à un grand répertoire, de la musique renaissance à la musique contemporaine. On faisait également des séances de déchiffrage et d’improvisation. C’était un enseignement très complet. Avant cela, étant d’origine provençale, lorsque j’étais petite, j’allais écouter les ensembles folkloriques de musique et de danse. J’adorais voir et entendre les défilés ! Et c’est peut-être depuis cette époque que j’ai aimé les instruments à vent, et que je relie la musique à la joie et au plaisir. Quelques années plus tard, Jean Aubin, le directeur du conservatoire de Versailles, encourageait les élèves à commencer un instrument d’orchestre si leur premier instrument n’en n’était pas un. Nous sommes donc allés écouter les classes d’instruments. J’ai tout de suite été attirée par le son du hautbois, rayonnant, solaire, que j’avais entendu aussi en disque, chez mes parents. J’ai étudié cet instrument avec Gaston Longatte, puis Michel Descarsin, homme exigeant et attentif, et également avec son assistant Bertrand Cazeneuve qui avait un enthousiasme et une curiosité très communicatifs. Puis de fil en aiguille, alors que j’avais 14 ans, M. Descarsin a dit à mes parents : « Hélène pourrait en faire son métier », et cela s’est fait assez naturellement ! J’ai ensuite étudié à Meudon avec André Chevalet (prédécesseur de J.-Louis Capezzali à l’Orchestre philharmonique) et Alain Denis au Conservatoire du Raincy. Ces deux musiciens étaient très complémentaires. Alain Denis, cor anglais de l’Orchestre de Paris, avait également étudié la sophrologie et les arts martiaux. Il enseignait le rôle de l’air comme base de l’instrument, et m’a ouvert des portes, en me montrant l’importance du mental ; c’était passionnant. Je suis rentrée ensuite en 1988 au CNSM de Paris, et j’ai bénéficié des conseils de deux grands professeurs : Maurice Bourgue et David Walter. Après 3 ans de CNSM, un prix de musique de chambre chez Christian Lardé, et un premier prix de hautbois, j’ai réussi en 1992 les concours de la Garde et de l’Orchestre philharmonique des Flandres. Je suis allée à Anvers. Parallèlement j’ai réussi l’entrée en perfectionnement au CNSM, et ces deux années avec M. Bourgue et J.L Capezzali ont été très importantes pour moi et m’ont beaucoup appris. À la fin de mes années de perfectionnement, en juillet 1995, je réussissais le concours de hautbois solo au Philharmonique de Radio-France. - Enseigner en plus de jouer, c’est indispensable et complémentaire ? Absolument ! J’ai commencé à enseigner à 16 ans (au conservatoire du Chesnay puis à Viroflay), j’ai adoré tout de suite ! Transmettre, aider, donner envie… Le hautbois n’est pas un instrument hyper connu. J’ai donc aussi fait beaucoup d’animations en classe de solfège et dans les écoles. C’est un instrument qu’il faut faire découvrir, mais une fois que l’élève est convaincu, il vient parce que c’est son propre choix et non pas par hasard. Aujourd’hui, on peut constater qu’il y a moins d’élèves débutants dans les conservatoires qu’il y a dix ou vingt ans. Même au CNSM, il y a moins de candidats aux concours d’entrée. Y rentrer n’est pas plus facile pour autant, car le niveau moyen a beaucoup monté. En revanche, il y a plutôt pas mal de concours d’orchestre en ce moment en France et en Europe, et les Français n’hésitent plus à concourir à l’étranger ! Il y a d’ailleurs des Français très talentueux qui occupent des places phares au sein d'orchestres étrangers. - Tu as enseigné et enseignes encore dans différents Conservatoires ; quels… enseignements en tires-tu ? J’ai donc commencé à Viroflay, qui est maintenant intégré comme un des sites du CRR de Versailles-Grand Parc, puis j'ai enseigné au conservatoire du 10e arrondissement de Paris, des débutants aux grands élèves. J’ai ensuite enseigné à Aubervilliers (CRR, Pôle Sup.) et maintenant pour quelques heures au CRR de Saint-Maur et au CNSM pour la classe de lecture à vue pour les bois. Enseigner aux plus jeunes ou aux étudiants plus avancés me passionne tout autant. J’ai les mêmes priorités d’exigence, la même rigueur à propos des paramètres techniques, mais sans oublier que le travail doit se faire dans la joie, en essayant que le plaisir de jouer soit toujours présent. C’est à nous aussi, les professeurs, de leur communiquer cette envie, et aussi de développer leur curiosité…! La communication des émotions musicales doit rester selon moi le point central de notre raison de jouer et d’enseigner. De plus, l’instrument permet d’exprimer des choses qu’on ne peut pas exprimer autrement. C’est aussi notre rôle de montrer à l’élève qu’il peut placer ses curseurs le plus haut possible. Tant qu’on n’a pas essayé, il ne faut pas se placer de limites : c'est ce que j'essaie de faire comprendre à mes élèves. La manière de transmettre et d’enseigner a un peu changé : maintenant, l'enseignant est peut-être plus à l'écoute de l'élève et en tout cas, la bienveillance a beaucoup d'importance pour moi. Cela dit, l’exigence technique, musicale et le respect du texte demeurent, un peu comme un cuisinier qui a une recette où il faut mettre 250 g de farine et pas 255 g… - Et l’orchestre, c’est le même plaisir ? Enseigner ET jouer dans un orchestre étaient un rêve pour moi. Et j’ai eu de plus des professeurs qui faisaient partie d’un orchestre. L’orchestre est également l’école de l’humilité. Comme le danseur à la barre, tous les jours on remet son métier sur la table. L’orchestre, c’est aussi la richesse du répertoire. On ne joue pas Brahms comme on joue Ravel ou Stravinsky. Trouver le son juste, le phrasé qui va avec les intentions du compositeur. Apprendre à jouer avec les différentes personnalités qui nous entourent, écouter les autres. J'essaie que le travail sur soi-même qu'engendre le travail de l’instrument, ainsi que la richesse du métier de musicienne d’orchestre, enrichissent ma vie de pédagogue. - Comment se passe une classe de déchiffrage au CNSM ? La classe de lecture à vue est très riche. Plusieurs configurations de travail sont intéressantes. Nous faisons du travail individuel, également avec piano, mais aussi je fais déchiffrer les élèves par deux ou trois. Mon but est d’apprendre à être concentré sur son texte mais également, en même temps, être capable de jouer avec les autres : pouvoir s’écouter, se regarder, comment l’autre respire, comment il ralentit… Bref, s’adapter. Cela sert ensuite en musique de chambre, à l’orchestre ! Régulièrement, nous travaillons également la lecture à vue en section de petite harmonie d’orchestre, afin de les aider à acquérir les réflexes de la lecture en groupe. - Une envie d’écrire une étude, une pièce ? Pour l’instant, je n’envisage pas d’écrire un support pédagogique, je suis plus dans l’oralité. - Quels sont tes projets, tes rêves qui ne se sont pas encore réalisés ? Je vais créer le Concerto de Philippe Hurel le 5 mai 2022, avec l'orchestre philharmonique de Radio-France dirigé par Pascal Rophé. Vitalité rythmique, sonorités chatoyantes : je me réjouis à l’avance ! J’aime suivre la musique de mon temps. Créer du neuf, du vivant, c’est libérateur et exaltant. J’aimerais aussi concrétiser un projet freiné par la Covid : faire un disque de musique contemporaine pour hautbois solo. Cela dit, le confinement a permis aussi de réfléchir à de nouvelles façons de partager la musique. J’aime être active sur Instagram et Facebook. Les réseaux sociaux sont très vivants, très réactifs. Il n’y a plus autant de barrières entre musiciens et public, entre professionnels, élèves et amateurs. Mais indépendamment des réseaux sociaux, la démocratisation de la musique classique est une préoccupation existante et partagée par différentes personnes, dont par exemple J.-F. Zygel qui démocratise l’accès à la musique par ses émissions télé, DVD et concerts avec énormément de talent. Nous avons une collaboration avec lui et notre orchestre qui est très intéressante. Exigence de qualité, donner envie, tout cela avec une dose de décontraction : ce n’est pas incompatible ! Les vidéos du clarinettiste Nicolas Baldeyrou, qui est très suivi sur Instagram, Facebook et sa chaîne YouTube, en sont également un bon exemple. Enfin, j’aimerais encore développer l’aide que j’apporte à la transmission du métier d’orchestre avec une structure adéquate en direction des jeunes. Car je crois que notre but en tant qu’être humain, c’est de pratiquer ce qu’on aime et partager ce qu’on sait faire ! Biographie, discographie : https://www.buffet-crampon.com/artist/helene-devilleneuve |
J.M.P. |