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Galilei - Opéra en 12 scènes für sinfonieorchester
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einband Galilei - Opéra en 12 scènes Editions Henry Lemoine
Michael JARRELL
Verleger : Editions Henry Lemoine
Gattung : Orchester
Gruppe : Sinfonieorchester


Entre bouillonnements et silences
Heureusement, les collaborations des librettistes et des compositeurs sont l'occasion d'intenses échanges épistolaires qui nous éclairent sur la genèse de nombreux opéras ! Aujourd'hui, c'est avec le metteur en scène Nicolas Brieger que le compositeur Michael Jarrell signe la création de Galilée. Inspirée de La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, l'œuvre de Jarrell porte en elle une leçon de philosophie et d'esthétique...

Michael Jarrell
On a coutume de considérer La Vie de Galilée comme une pièce politique. Or pour moi, la politique y est plutôt au second plan. Parce que contrairement à la plupart des pièces de Brecht, les personnages sont complexes et pétris de contradictions. C'est surtout vrai pour le personnage central, qui est un vrai personnage et non pas l'agent d'une démonstration. Si l'on se rappelle que la première version de La Vie de Galilée a été écrite à l'étranger et que Brecht est alors déraciné, l'on a peut-être une explication de l'ambiguïté de cette pièce. On sent que les repères habituels de Brecht sont remis en question.

Nicolas Brieger
Pour ma part, je ne vois pas d'opposition entre la complexité des personnages et le message politique. Quand on traite d'un phénomène social, ce qui est le cas ici, on est dans le politique. Et Brecht a bien quelque chose à prouver, dont l'œuvre se fait l'ambassadeur. Certes, on ressent que Brecht doutait et qu'il était traversé d'incertitudes. Mais c'est justement cela qui est intéressant.

Que nous enseigne La Vie de Galilée sur les rapports entre science et pouvoirs constitués ?

Michael Jarrell
Le scientifique, ici, est un authentique créateur. Il est extrêmement inventif et réagit d'une façon très singulière à un contexte. Ce n'est pas un personnage qui soudain, comme par magie, ferait apparaître une vérité ou définirait une position avant-gardiste. C'est au contraire un être perméable à son environnement et qui, finalement, va être emporté par la peur et verra sa raison vaciller.

Nicolas Brieger
La question est à déplacer : opposer science et pouvoir, c'est réducteur ! Il ne s'agit pas de savoir qui, du scientifique ou du représentant du pouvoir, a raison. Si la question centrale était celle des modes de survie de la science face au pouvoir, ce serait une pauvre pièce ! Galilée va au-delà : le pouvoir dont il est question s'est constitué en même temps qu'une grande richesse créatrice. La montée en puissance de l'Eglise, puisque c'est de ce pouvoir qu'il s'agit, a été accompagnée d'une incroyable floraison artistique, notamment en arts plastiques. Dans ce cas, on ne peut donc pas opposer pouvoir et créativité. Brecht s'est intéressé à une figure et une réalité historiques et n'a pas construit sa pièce comme une parabole.

Depuis Kafka, on sait que le pouvoir ne s'incarne pas, sinon sous la figure d'une porte gardée par un planton - porte qui ne mène nulle part. Or le personnage de l'Inquisiteur personnifie le pouvoir. Entre Brecht et Kafka, où est la vérité ?

Michael Jarrell
Je ne suis pas d'accord avec Kafka : je pense qu'on peut très bien représenter le pouvoir. Dans Galilée, la scène où l'on habille le pape en est une démonstration. On y perçoit la disparition de l'individu au profit de sa nouvelle fonction. On assiste à la métamorphose de Barberini, de cardinal-mathématicien en pape.

Nicolas Brieger
Entre Kafka et Brecht, la différence est colossale. Kafka conçoit le pouvoir comme une force suprême, qui ne peut être personnifiée. Brecht s'est plus froidement interrogé sur les mécanismes du pouvoir. Et parmi ces mécanismes, il a cerné la perte de l'individualité, comme cela se produit pour le Cardinal Barberini. Brecht met en lumière les contradictions de Barberini et montre qu'il évolue en fonction de celles-ci. S'il perd son individualité, ce n'est pas suite à un lavage de cerveau !

Quel est le personnage qui vous a donné le plus de fil à retordre ?

Michael Jarrell
Tous (rires). Je n'avais pas envie d'écrire un opéra où tout le monde chante et où prime la beauté de la composition - ni de faire du théâtre musical... Ni de faire du musicalement correct, où l'on ne comprendrait pas ce qui se chante. Ce que j'ai voulu, c'est une chronologie et une narration. Dans le traitement de la voix, j'ai voulu induire une parole dans le chant et faire en sorte que la présence scénique des chanteurs ne soit pas une simple allégeance au genre de l'opéra. Il m'est apparu comme une nécessité que leur prestation scénique réponde à une logique dramaturgique.

Nicolas Brieger
Du fait que Brecht donne passablement raison à Galilée, c'est celui-ci qui m'apparaît comme le personnage le plus délicat à traiter scéniquement. C'est aussi le plus contradictoire et il peut être pris comme un simple opportuniste si on isole certaines de ses déclarations. Ce qui serait un abus en terme d'interprétation. Il y aurait aussi un contresens à placer Galilée dans la perspective d'une interrogation sur la portée bénéfique ou maléfique des découvertes scientifiques. N'oublions pas que la controverse concernant la rotation de la terre autour du soleil n'a rien à voir avec les conséquences d'une découverte permettant la création d'une bombe ! En somme, ce que Galilée assène, c'est qu'ontologiquement un ver de terre est aussi important qu'un être humain.

Temps opératique et temps théâtral ne coïncident pas... Quant à la vocalité, il lui faut pouvoir se déployer. Comment les spécificités du genre opératique sont-elles intégrées dans votre travail ?

Michael Jarrell
En premier lieu, l'opéra est un monde musical. Et justement, le temps musical a ses propres lois. Alors que dans une pièce de théâtre, les limites temporelles ne sont pas données : cela laisse à la mise en scène la possibilité de ponctuer ou dilater ce qui se déroule sur scène, ce qui se dit, ou encore de prendre certains passages sous la loupe. Dans l'opéra, en revanche, le temps musical est fixé. Ce carcan du temps est une contrainte fructueuse. Il insuffle une force qui peut propulser le chanteur- acteur. Si on y touche, la dramaturgie musicale est cassée et le risque encouru est que la musique se dissolve. Même les passages parlés sont parties intégrantes de ce dispositif temporel : il faut donc être attentif aux temps de déclamation.

Nicolas Brieger
Entre le musical et le théâtral n'existe aucun pont. Il est donc vain de vouloir maintenir à tout prix la ligne discursive. C'est la musique qui confère sa place à chacun des éléments et il n'y a pas à revenir là-dessus puisque le rythme est une donne définitive. Ce qui est très intéressant, ce sont les renversements auxquels la musique nous convie. Parfois elle met en évidence l'argument, dans tel passage du livret, et parfois elle nous invite à prendre des distances par rapport au contenu narratif, par une émotion davantage liée à la composition sonore. Cet enrichissement du texte ne se produit pas par confrontations mais grâce à un geste esthétique. Il y a dans Galilée de parfaits exemples de cela, où la musique met toute son éloquence au service d'un point de vue. Il en va ainsi du passage où Galilée décrit le système de Ptolémée* à Andrea et où l'on ressent qu'il puise sa force dans cette conception du monde.

Y a-t-il lieu de mettre l'orchestre en valeur ?

Michael Jarrell
L'orchestre n'a pas une fonction d'accompagnement. C'est dire qu'on l'entend parfois beaucoup ! En d'autres termes, il arrive que voix et orchestre se combattent et que, momentanément, les voix n'existent que par l'orchestre. Ce qui ne va pas sans poser des problèmes... Mais je suis persuadé que le sens peut à certains instants passer par d'autres voies que le texte et que le sens n'a pas à être univoque. C'est pour cela qu'il n'y a pas de nécessité à ce qu'on comprenne toujours tout. C'est la force de la musique: elle confère un sens qui n'est pas celui des mots - cela permet des incidences qui ne sont pas perceptibles dans le langage seul.

Nicolas Brieger
Le fait qu'il existe deux genres distincts, opéra et théâtre musical, constitue en quelque sorte la réponse à cette question.

Dans la partition, les silences sont précisément minutés. Quelle fonction entendez-vous leur donner ?

Michael Jarrell
Il y a une gradation des silences. De sorte que s'établit une distinction entre ce qui fonctionne comme une ponctuation ou une respiration, et des pauses de l'orchestre, des voix chantée ou de la voix parlée. Celles-ci peuvent aussi se superposer et former un "vrai" silence. Une polarisation de l'écoute résulte de cette échelle des silences, soit sur ce qui est dit, soit sur l'atmosphère, soit encore sur un seul mot, mis en exergue. C'est ainsi que se constituent une hiérarchie de la compréhension et une dynamique de l'écoute. Certains silences fonctionnent comme des tremplins pour ce qui va suivre. Ils canalisent le flux musical, entre bouillonnements et écluses.

Nicolas Brieger
Prenez Verdi. Chez Verdi, les silences sont très signifiants, ils interrompent, ils augmentent la tension. Là, chez Jarrell, j'ai le sentiment qu'ils sont très différenciés. Sciemment, ils endiguent le flux sonore. Ils recherchent une nouvelle impulsion, une énergie qui permet de poursuivre. Ils prolongent parfois ce qui vient d'être proféré, pendant que le personnage l'intériorise. Le dit ne constitue qu'une portion de ce qui est pensé...

Les chanteurs ont une partie extrêmement difficile à mémoriser...

Michael Jarrell
Le pire, c'est le rôle de Galilée. Il est tout le temps présent. C'est presque un one man show. Les autres rôles sont plus "normaux". Quant à Andrea, il est "coupé" en deux, puisqu'il est assuré par deux personnes, ayant grandi entre le début et la fin de l'opéra. Sagredo n'apparaît que quelques fois...

Nicolas Brieger
Tous les personnages sont importants. Certaines de leurs interventions ont le poids d'une condamnation à mort. Et pour les "petits rôles", il faut d'excellents comédiens. Dans la phase de préparation, on est toujours inquiet : quand il faut à ce point conjuguer les qualités d'acteur et de chanteur, contrôler le débit et avoir un parfait accent dans la langue allemande parlée, rien n'est facile.

Pour vous, qu'est-ce qu'un opéra réussi en 2005 ?

Michael Jarrell
Excepté Les Trois Soeurs de Peter Eötvös, d'après Tchekov, je n'ai pas vu d'opéra récent qui m'ait pleinement convaincu. C'est vraiment une chose difficile, aujourd'hui. Et l'ironie du sort veut que j'aie énormément apprécié cet ouvrage pour des raisons qui ne sont pas opérantes dans Galilée : la distanciation par rapport à la pièce originale par le truchement du théâtre japonais, plus la distanciation consécutive au chant en russe devant un public francophone. Enfin, l'absence de couverture des voix grâce aux deux orchestres, celui en fond de scène et celui dans la fosse.

Nicolas Brieger
Actuellement, le problème est que les musiques sont faites de quantité de couches superposées : bruits, sons... Or l'opéra fonctionne en quelque sorte horizontalement. Si l'on réussit, en dépit de la stratification musicale, à créer une forme d'horizontalité de la réception, alors il est possible de susciter l'émotion face à des personnages. Les surtitres sont d'ailleurs plutôt un élément perturbateur, puisqu'ils contraignent le spectateur à quitter sans cesse le niveau de la scène pour monter et redescendre à nouveau. Le but est donc de réussir à instaurer cette immédiateté de la réception, en dépit de toutes les composantes verticales.

Isabelle Mili
pour le Grand Théâtre de Genève
in La Grange n° 81

* Ptolémée a le premier affirmé que la terre n'était pas plate, mais ronde.

13 solistes, chœur et orchestre

Partition

Date de sortie : 23/12/2005

ISMN : 9790230980005

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